Colombie : l'affaire Santrich divise opposants et partisans du processus de paix
Les rebondissements de l’affaire Santrich, du nom de l’ex-chef guérillero des Farc, Jesus Santrich, réclamé par la justice américaine pour narcotrafic, continuent d’envenimer le climat politique en Colombie, où le clivage ne cesse de s’accroître entre opposants et partisans du processus de paix dans ce pays d’Amérique du Sud ravagé par plus de 50 ans de conflit armé.
L’ex-commandant des Forces armées révolutionnaires de Colombie(Farc), transformées en parti politique sous le même acronyme après la signature d’un accord de paix historique, le 24 novembre 2016, avec le précédent gouvernement du président de centre-droit Juan Manuel Santos (2010-2018), est devenu le protagoniste d’un feuilleton judiciaire inédit largement suivi dans un pays où la polarisation au sein de la classe politique s’aggrave de plus en plus.
Santrich (52 ans), l’un des principaux négociateurs de paix de la guérilla, a été ré-arrêté vendredi dès sa sortie de la prison La Picota, au sud de Bogotá, dix minutes seulement après avoir été libéré sur décision de la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), tribunal chargé de juger les crimes commis par les anciens guérilleros mais aussi les forces de l’ordre lors du conflit armé qui a embrasé la Colombie faisant officiellement 260.000 morts, près de 7 millions de déplacés et quelque 45.000 disparus.
L’ex-dirigeant de la guérilla a été appréhendé par des agents du Parquet alors qu'il venait à peine de franchir le portail de la prison, assis dans un fauteuil roulant, sur la base de "nouveaux éléments de preuves" sur sa tentative présumée d’acheminer 10 tonnes de cocaïne vers les Etats-Unis, après la signature de l’accord de paix. Selon le Parquet, ces "nouveaux éléments de preuves" ont été fournis par un ex-guérillero, extradé vers les Etats-Unis dans le cadre de la même affaire et qui bénéficie de statut de témoin protégé de la justice américaine.
La réincarcération de Santrich, dont la JEP avait rejeté, mercredi dernier, la demande d’extradition vers les Etats-Unis, présentée par la justice américaine tout en ordonnant sa libération "immédiate", a suscité une vive polémique dans le pays entre défenseurs de l’accord de paix et partisans de la décision du Parquet qui a présenté un recours contre la remise en liberté de l’ancien chef guérillero, à la demande de la justice américaine.
"Ils ne cessent de poignarder la paix, avec haine ils réduisent l'accord (de paix, ndlr) en miettes", a dénoncé le chef du parti issu de la guérilla, Force alternative révolutionnaire commune, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, sur Twitter immédiatement après la réincarcération de son ancien compagnon d'arme. Samedi, Timochenko a adressé une lettre aux membres de son parti dans laquelle il les a appelés à rester "conséquents" dans la défense du processus de paix.
"Ils veulent nous pousser à adopter des actions désespérées, qui, une fois concrétisées, seront plus qu'utiles pour donner le coup de grâce au processus", a ajouté le chef de la Farc, faisant allusion au président de droite Ivan Duque et au Parquet. La Farc a également appelé le président colombien à recevoir "le plus tôt possible une délégation de notre parti pour vous exposer personnellement nos inquiétudes", une demande restée sans suite jusqu’à présent.
Pour sa part, la JEP a justifié sa décision d’ordonner la remise en liberté de l’ex-négociateur de paix de la guérilla par l’absence de preuves de la part de la justice américaine, se demandant sur les raisons ayant poussé le parquet à ne pas lui remettre les preuves qu’il prétend en avoir sur l’implication de Santrich dans la tentative d’acheminer 10 tonnes de cocaïne vers les Etats-Unis.
Quant à M. Duque, il a soutenu la nouvelle arrestation de Santrich, sans toutefois mentionner l'éventuelle extradition de l'ancien chef guérillero. "Ceux qui retombent dans les activités criminelles doivent subir tout le poids de la loi", a-t-il déclaré dans une allocution télévisée. Pour sa part, l’actuel sénateur et ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), considéré comme une figure de proue de la droite radicale, a estimé que la "réforme de la justice commence avec l’extradition de Santrich".
Selon l’analyste politique Juan Esteban Lewin, les positions diamétralement opposées au sujet de l’affaire Santrich entre la JEP et le Parquet ont provoqué une "grande crise au sein de la justice". Pour l’analyste Fernando Posada, les rebondissements de cette affaire témoignent de la difficulté qu’éprouve le président Duque à influer sur le cours de la justice transitionnelle, gérée par la JEP. Le président Duque qui n’a toujours pas réussi à tenir sa promesse électorale de modifier l’accord de paix avec les ex-Farc, a été désavoué récemment par les deux chambres du Congrès sur son projet de révision du système de la juridiction spéciale pour la paix.
Sur un ton pessimiste, l’éditorialiste du journal "La Opinion" a écrit que "la confiance dans le processus de paix et la JEP a été entamée et la brèche qui sépare opposants et défenseurs de la paix ne cesse de s’élargir". La lutte contre les deux camps "accentue la polarisation qui étouffe le pays depuis la signature de l’accord de paix. Cette ambiance ne peut avoir que des conséquences négatives", a mis en garde le journal.
L’affaire Santrich, qui tient en haleine la classe politique ainsi que les médias du pays, a déjà causé des dégâts collatéraux. Suite à la décision de la JEP, la ministre de la Justice, Gloria María Borrero, et le procureur général de la nation, Néstor Humberto Martínez, ont présenté leur démission la semaine dernière.
Santrich a été interpellé en avril 2018 sur la base d’une notice rouge émise par Interpol à son encontre à la demande des États-Unis qui l’accusent d’être impliqué dans une tentative d’acheminement de 10 tonnes de cocaïne vers ce pays, après la signature de l'accord de paix.
En vertu de cet accord, les anciens guérilleros sont protégés contre toute requête des États-Unis pour les crimes commis avant la conclusion de l'accord de paix. La justice américaine accuse l’ancien chef guérillero d’avoir planifié l’envoi de la cocaïne après la signature de l'accord, ce qui, à ses yeux, le rendait passible d’extradition.
Source : MAP
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