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Engrais : le Maroc et l’Égypte tirent leur épingle du jeu

Hier 15:00
Engrais : le Maroc et l’Égypte tirent leur épingle du jeu
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Deux poids, deux mesures sur le marché des engrais : quand l’Afrique paie le prix fort des tensions géopolitiques, certains pays tirent leur épingle du jeu. Le dernier rapport de la Banque mondiale, publié le 9 juillet 2025, révèle une flambée continue des prix des engrais, mettant en lumière une reconfiguration mondiale aux effets contrastés. Si le Maroc et l’Égypte figurent parmi les grands bénéficiaires, le reste du continent africain affronte une crise d’accessibilité aux conséquences lourdes sur sa sécurité alimentaire.

Une hausse des prix à double tranchant

Depuis janvier 2025, l’indice des prix des engrais de la Banque mondiale a bondi de 15 %, avec des hausses record pour certains produits comme le phosphate triple superphosphate (+43 %) ou le phosphate diammonique (+23 %). Cette envolée s’explique par une demande mondiale forte, des restrictions commerciales croissantes, et des déficits de production – en particulier pour l’urée.

Mais derrière cette tension globale, des gagnants se détachent. Parmi eux : le Maroc, fort de ses importantes réserves en phosphate, et l’Égypte, grâce à sa position géostratégique. Tous deux parviennent à capter des parts de marché importantes en Europe, remplaçant des fournisseurs traditionnels aujourd’hui sanctionnés ou limités, comme la Russie, la Biélorussie ou la Chine.

Maroc et Égypte : les nouveaux piliers d’un marché perturbé

Le Maroc, leader mondial des phosphates, bénéficie d’une opportunité géopolitique majeure : avec la baisse des exportations russes et chinoises, il devient une alternative stratégique pour l’Europe. Résultat : les prix du DAP devraient grimper de 6 % en 2025, renforçant ses recettes à l’exportation.

De son côté, l’Égypte, malgré une baisse de production liée à la raréfaction de son gaz naturel, trouve sa place comme fournisseur alternatif d’ammoniac, un composant clé pour la fabrication d’engrais azotés. Sa proximité avec les marchés européens lui permet de combler les manques liés aux perturbations logistiques d'autres fournisseurs.

Une Afrique en état d’alerte

À l’opposé de cette dynamique, la majorité des pays africains restent en position de faiblesse. Importateurs nets, ils subissent de plein fouet la flambée des prix et la rareté croissante des engrais. Selon la Banque mondiale, l’accessibilité aux engrais s’est brutalement détériorée depuis le début de l’année, notamment pour le DAP dont l’indice a atteint un niveau historique de 1,72 – bien supérieur à ceux de l’urée ou de la potasse.

Les petits producteurs agricoles paient le prix fort : baisse des revenus, réduction des surfaces cultivées, et menace directe sur les récoltes à venir. La faiblesse de l’intégration régionale et l’absence d’initiatives coordonnées, comme des achats groupés ou des chaînes logistiques intra-africaines, aggravent une dépendance structurelle.

Une dépendance qui coûte cher

La contraction de 90 % des exportations chinoises d’engrais azotés en 2024, les sanctions européennes, et les droits de douane sur les produits russes créent un environnement imprévisible et coûteux. Les pays africains, souvent en bas de la chaîne logistique mondiale, doivent payer plus cher et attendre plus longtemps pour des intrants vitaux.

Le paradoxe est criant : un continent aux potentiels agricoles immenses, mais incapable de garantir son autonomie en matière d’engrais. Seul le Maroc, doté d’une industrie structurée, tire parti de cette crise. Les autres restent tributaires des aléas mondiaux, sans filet de sécurité régional.

Des perspectives peu encourageantes

La Banque mondiale prévoit que les prix des engrais resteront « largement au-dessus des moyennes 2015-2019 » au moins jusqu’en 2026. Même avec l’arrivée de nouvelles capacités de production au Moyen-Orient et en Asie, aucun retour à la normale n’est envisageable à court terme. Les tensions géopolitiques, les décisions industrielles stratégiques (comme la priorité donnée par la Chine à sa filière des batteries électriques) et les risques d’approvisionnement continueront à peser lourdement.

Une urgence stratégique pour l’Afrique

L’appel est clair : diversification des sources, développement de capacités locales, agroécologie, coordination régionale… autant de pistes que les pays africains doivent explorer de toute urgence pour sortir de cette vulnérabilité chronique. Faute de quoi, la flambée actuelle pourrait se transformer en crise agricole durable.

Loin d’être un simple effet conjoncturel, la crise des engrais révèle une fracture structurelle entre les pays producteurs bien positionnés et les pays dépendants. Le Maroc et l’Égypte tirent profit des déséquilibres mondiaux, mais l’Afrique, dans son ensemble, reste fragile, exposée et sans stratégie continentale efficace. Il est temps pour les dirigeants africains de transformer cette crise en électrochoc, pour faire de la souveraineté agricole une priorité politique.



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