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Inéligibilité des condamnés : un débat tendu au Parlement
La Chambre des représentants s’est fortement divisée autour du projet de loi visant à interdire aux personnes condamnées en première instance de se présenter aux élections législatives. Ce texte, préparé par le ministère de l’Intérieur après des consultations avec les formations politiques, ambitionne de renforcer l’intégrité du Parlement et de prévenir toute intrusion de candidats impliqués dans des affaires de corruption. Mais il soulève un dilemme juridique et politique majeur : comment concilier la protection des institutions et le respect de la présomption d’innocence ?
Un projet conçu pour “assainir” la vie politique
Pour les partisans du texte, l’objectif est clair : préserver la crédibilité de l’institution législative. Ahmed Touizi, président du groupe parlementaire du RNI, a rappelé que la mesure répond à une volonté nationale inspirée par les standards internationaux en matière de moralisation de la vie publique. Selon lui, « rompre tout lien entre le Parlement et les personnes poursuivies pour corruption » est une étape nécessaire pour restaurer la confiance des citoyens. Il cite notamment l’exemple de la France, où une condamnation en première instance peut déjà entraîner l’inéligibilité.
Touizi défend aussi l’interdiction faite à certains fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de se porter candidats, estimant que leur rôle dans l’organisation des élections impose une neutralité totale. Toute influence, même indirecte, pourrait selon lui nuire à la transparence du processus électoral.
La présomption d’innocence au cœur des inquiétudes
À l’opposé, plusieurs députés mettent en garde contre une atteinte grave aux droits fondamentaux. Le chef du groupe du PPS, Rachid Hammouni, a souligné que la présomption d’innocence, garantie par l’article 119 de la Constitution, ne peut être relativisée. « Interdire la candidature sur la base d’un jugement non définitif revient à priver un citoyen de l’un de ses droits politiques les plus essentiels », a-t-il déclaré, rappelant que la Cour constitutionnelle avait déjà censuré des textes similaires dans le passé.
Certains parlementaires craignent également que cette mesure ouvre la porte à des dérives, notamment en cas d’instrumentalisation judiciaire ou de décisions contestées pouvant faire basculer une carrière politique avant même la fin d’un procès.
Des voix pour une approche équilibrée
Entre soutien ferme et rejet catégorique, certains députés ont appelé à davantage de nuance. Abdallah Ghazi (RNI) et Khadija Zoumi (PI) ont plaidé pour une distinction entre les postes à forte influence politique et les fonctions administratives sans lien direct avec le processus électoral. Ils estiment qu’étendre les restrictions à des fonctionnaires de rang inférieur, voire à des retraités, serait excessif et contraire à l’esprit de la réforme.
Pour eux, il est possible de protéger le Parlement sans imposer une inéligibilité généralisée à des catégories qui n’exercent aucune influence sur l’organisation ou la supervision des élections.
Incohérences juridiques et risques de censure
D’autres députés ont mis en lumière plusieurs contradictions dans la formulation du projet. Abdel Samad Haiker (PJD) a rappelé la divergence entre l’âge requis pour être candidat fixé à 18 ans dans le texte — et la loi en vigueur qui impose un minimum de 21 ans. Il a également pointé l’usage exclusif des condamnations pour corruption comme critère d’inéligibilité, alors que certaines sanctions administratives ou pénales ne reflètent pas nécessairement un défaut de moralité.
Haiker a en outre critiqué l’inéligibilité liée aux peines de destitution (al azl), parfois motivées par des causes administratives ou médicales sans rapport avec des infractions. Pour lui, la réforme risque de se heurter frontalement à la Constitution si elle s’appuie sur des jugements non définitifs, même si l’objectif de lutte contre la corruption reste largement partagé.
Un débat qui illustre les tensions démocratiques
Le débat autour de cette réforme révèle un enjeu fondamental : la volonté d’assainir la vie politique peut-elle justifier une atteinte, même partielle, à la présomption d’innocence ? La question reste ouverte et divise profondément les élus.
Alors que la Commission poursuit l’examen du texte, plusieurs députés ont déjà prévenu que la Cour constitutionnelle pourrait être saisie si la loi est adoptée en l’état. Entre impératif d’intégrité et respect des libertés citoyennes, le Parlement se trouve face à une équation juridique et démocratique délicate, qui pourrait bien redessiner les règles du jeu électoral au Maroc.